Entretien avec Claude Núñez, nouveau Directeur du centre Motorisations et mobilité durable d’IFP School

Portrait de Claude Núñez


Claude Núñez a été nommé Directeur du centre Motorisations et mobilité durable d’IFP School et prendra ses fonctions au 1er juin prochain, en remplacement de Pascal Longuemare, qui a pris la direction de l’École en septembre 2023.

Claude Núñez, 51 ans, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en mécanique et en mécanique des fluides de l’université Simón Bolivar de Caracas (Venezuela). Il est également diplômé du programme Internal Combustion Engines (promotion 1998), l’ancêtre du programme Énergie et motorisations d’IFP School.

1.   Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel ?

J’ai démarré ma carrière en tant qu’ingénieur de mise au point chez Peugeot Citroën (PSA) au centre R&D de La Garenne-Colombes en 1999 sur des motorisations diesel. Pendant dix ans, j’ai occupé des postes techniques dans la filière expertise (modélisation et simulation combustion, contrôle commande, post traitement, suralimentation, etc.). J’ai ensuite occupé des postes de responsable conception systèmes, et dirigé une équipe d’une trentaine d’ingénieurs et techniciens avec pour objectif de développer des Groupes Moto Propulseurs (GMP) thermiques et hybrides répondant à des cahiers de charges spécifiques selon les régions du monde.

En 2007, je m’installe en Argentine pour prendre la Direction des moteurs diesel Amérique du Sud chez PSA. J’ai eu pour mission de développer le premier projet moteur « low cost » réalisé en dehors de l’Europe pour PSA afin de répondre aux besoins des pays émergents. Une expérience très enrichissante car j’ai dû recruter, former et diriger une quarantaine de jeunes ingénieurs et techniciens non motoristes et les rendre opérationnels en moins de six mois. De cette expérience est née ma passion pour la formation.

De retour en France en 2012, j’ai décidé de tenter l’aventure de l’entreprenariat. J’ai créé ma première start-up, Startup BLVD, en partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) :  une plateforme de due diligence. Le périmètre d’activités couvrait toutes les vérifications techniques, juridiques et financières pour un investisseur ou un acquéreur avant une transaction (acquisition, investissement, participation à une levée de fonds, etc.) afin d’évaluer le niveau de risques et visant à faire émerger des partenariats durables.

Puis j’ai créé une deuxième start-up, Autonect, qui a conçu des logiciels de diagnostics automobiles destinés à des sociétés de services disposant de flottes de véhicules.

En 2013, je rejoins IFP Training comme formateur. Trois ans plus tard, je suis nommé Directeur de la Business Line Powertrains & Sustainable Mobility. Au terme des 10 années au sein d’IFP Training, lorsque l’opportunité d’un retour à mon alma mater s’est présentée, je n’ai pas hésité longtemps avant de rejoindre l’École !

2.   Quelles sont vos ambitions pour le centre Motorisations et mobilité durable (MMD) ?

Les ambitions que je porte pour le centre s’articulent autour de quatre axes et vont nécessiter des efforts importants :

  • Premièrement l’adaptation de nos programmes pour répondre aux nouveaux besoins des industriels et des enjeux sociétaux de demain ;
  • Deuxièmement l’attractivité de notre secteur d’activité et de notre École en particulier pour les jeunes talents ; et accroître l’employabilité de nos élèves ;
  • Troisièmement l’innovation pédagogique comme vecteur d’attractivité mais surtout d’efficacité de notre enseignement ;
  • et une internationalisation forte de nos programmes.

Voici plus en détail quelques-unes de mes principales aspirations :

  • Adaptation de nos programmes pour accroître l'employabilité de nos élèves : notre rôle est d’accompagner la mutation de notre industrie et de former la prochaine génération de leaders et experts dans le domaine de la mobilité
     

Cette affirmation paraît évidente en première approche mais elle ne l’est pas vraiment. Le monde de la mobilité, et le secteur automobile en particulier, traverse depuis 2018 une mutation sans précédent, aussi bien au niveau technologique qu’organisationnel. Les grands enjeux et défis du secteur automobile sont de différentes natures :

  • Le premier objectif est environnemental, sociétal et extrêmement ambitieux à déployer à grande échelle ; il vise la neutralité carbone (Carbon Net Zero)
  • La mise en place des services autour du véhicule électrique connecté et autonome (Autonomous Connectivity Electrification Services, ACES)
  • L’accessibilité financière pour les utilisateurs dans un contexte de pouvoir d’achat en baisse
  • La criticité des matières premières (surtout pour les batteries et les composants électroniques)
  • Une concurrence accrue, en particulier asiatique
  • La transformation des technologies et donc des compétences.

Cette situation environnementale et sociétale a accéléré les décisions des états qui ont imposé des réglementations très contraignantes associées à des solutions technologiques à adopter dans un délai très court ! Les industriels ont dû se montrer agiles car leur survie en dépendait. Seuls les meilleurs vont réussir à traverser cette révolution grâce aux aides financières des états, des joints ventures et rachats, et des efforts importants de leurs forces vives….  Une métamorphose du monde de la mobilité qui nous oblige à réagir vite et nous adapter au changement. Cette révolution est déjà là et les acteurs industriels ont besoin de talents avec des compétences polyvalentes capables de s’adapter dans un contexte international et très mouvant. Nous devons les accompagner dans cette transition à travers des programmes de formation de haute qualité permettant à nos élèves d’avoir une vision système et globale des GMP, mais aussi une capacité à comprendre des systèmes complexes et à innover. Cela doit se traduire par des orientations et évolutions fortes dans nos programmes, l'intégration de technologies émergentes et des domaines d’expertise que l’Europe a besoin de développer pour redevenir compétitive (conception et industrialisation électronique de puissance, conception et industrialisation des cellules, modules et packs batteries, sécurité fonctionnelle (FuSa) et cybersécurité appliquées à l’électronique de puissance, le contrôle machines et électronique).

  • L’attractivité des domaines techniques et technologiques autour de la mobilité, et de notre École en particulier pour les jeunes :

Force est de constater que l’appétence pour la technique est en décroissance chez nos jeunes pour des raisons diverses.

La transition vers le véhicule électrique a favorisé la création ou le développement d’un nombre très important d’industriels mais aussi de formations dans ce secteur d’activité. Dans ce nouvel écosystème, la visibilité et donc l’attractivité de nos programmes sont des facteurs clés sur lesquels nous devons continuer à travailler sans relâche.

Mais cette métamorphose technologique, sociétale et environnementale du secteur de la mobilité est une chance pour une école comme la nôtre. C’est une opportunité qui s’offre à nous, en poursuivant l’évolution des contenus de nos programmes pour qu’ils continuent à être perçus par nos jeunes talents et par l’industrie comme un atout incontournable pour démarrer une carrière dans ces nouveaux métiers. Cette attractivité ne dépend pas uniquement du monde académique, mais nous pouvons y contribuer :

  • En proposant des programmes très opérationnels discutés et validés avec les « maîtres experts » chez les industriels, permettant d’accroître de manière significative l’employabilité de nos élèves.
  • À travers l'excellence académique pour que les diplômes IFP School demeurent un atout incontournable pour l’embauche.
  • L’innovation pédagogique comme vecteur d’attractivité mais surtout d’efficacité de notre enseignement 

Dans ce domaine, nous avons la chance de pouvoir compter sur les compétences des équipes du Lab e·nov™ et de la passion et curiosité de nos formateurs internes et externes. Notre pédagogie « learning by doing » à travers nos travaux dirigés de modélisation et de simulation, nos travaux pratiques dans notre laboratoire d’électrotechnique ou dans l’espace de réalité virtuelle, nos projets en fil rouge tout au long de la scolarité, nous permettent de proposer des parcours innovants et passionnants. Le digital fait partie du mode de communication, de travail et d’apprentissage de nos jeunes, et nous devons continuer à développer ces pratiques. L’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’enseignement n’est qu’à ses débuts et nous avons les armes en interne pour utiliser ce puissant outil pour développer l’efficacité et attractivité de notre enseignement.

  • L’internationalisation de nos programmes :

Nos clients historiques sont devenus des multinationales, les sièges sociaux et les décideurs sont souvent en dehors des frontières françaises, voire européennes. La répartition des activités de conception et industrialisation, et des forces vives évolue en conséquence. Pour donner un exemple concret, un secteur d’activité comme celui des batteries est un écosystème européen et mondial, où tous les acteurs souffrent d’un manque de compétences. Il faudra donc être capables de former des jeunes ingénieurs à distance, en anglais si l’on veut y répondre.

Nos programmes devront continuer à évoluer pour devenir plus digitalisés et que la contrainte géographique ne soit plus perçue comme un frein.
Par ailleurs, nous devons travailler sur la création de partenariats avec les acteurs académiques et industriels majeurs à l’international, pour donner davantage de visibilité à nos programmes à l’international.

3.   Quels sont les grands projets de 2024 (ou à venir) pour le centre ?

En 2024/2025 je souhaite que l’équipe puisse se concentrer sur deux projets structurants pour l’avenir de notre centre MMD :

  • D’abord l’évolution de notre programme Powertrain Engineering qui pourrait se recentrer sur la conception de GMP 100 % électriques. Cela va nous permettre de répondre à la restructuration des deux écosystèmes que nous avons actuellement sur le marché :
    • L’automobile sera 100 % électrique en Europe à l’horizon 2035, et cela signifie concrètement que les ressources et projets aujourd’hui en France et en Europe sont déjà complètement orientés dans cette direction. Le programme Powertrain Engineering va donc répondre à ce besoin industriel de montée en compétences.
       
    • Mais néanmoins il existe et existera encore pour de longues années des marchés et des produits qui vont utiliser des GMP thermiques ou hybrides (la F1-formule 1, le secteur militaire, le maritime, les off-road, engins agricoles, etc.). Le programme Énergie et motorisations va donc continuer à répondre à ce besoin. Par ailleurs le véhicule thermique a encore de belles années de vie en dehors des frontières européennes ; nos clients historiques ont et auront encore pendant longtemps des besoins de compétences dans le domaine moteurs thermiques pour développer ces marchés au niveau global. Le programme Énergie et motorisations est donc aussi le programme d’excellence pour les accompagner dans cette mutation géographique.
  • Le développement d’un nouveau programme, un programme de Mastère spécialisé® Expert Batteries. Le secteur de la batterie est déjà une réalité industrielle, qui va croître de façon exponentielle dans les 5 à 10 prochaines années. La capacité de production en Europe va passer de 70 à 1400 gigawatts entre 2021 et 2030 ! Les besoins de talents dans ce secteur vont être très importants et c’est une des préoccupations majeures des industriels. IFP School a la capacité, les compétences et la crédibilité pour se positionner comme un acteur de premier rang sur ce secteur avec un programme à vocation internationale. Mais les industriels sont déjà en train de se positionner avec les acteurs académiques européens existants et notre majeur défi sera à nouveau notre capacité à aller vite tout en proposant un programme unique de très haut niveau académique, mais aussi notre capacité à créer des partenariats avec les nouveaux acteurs (les gigafactories comme ACC, Verkor, Envision ou Prologium).

À nous de jouer !

Entretien réalisé par Meyling Siu